Mes potes trouvent souvent les meufs, au physique de gamine de douze ans, super bonnes. 

Dans deux heures je vais vendre mon âme à une entreprise où je devrais répondre au téléphone, vendre des trucs inutiles, à des vieux qui veulent juste taper la causette, à des gens qui vont me répondre avec des voix de gamins en me disant que leur parents sont pas à la maison de 7h30 jusqu'à 23h en moyenne, ou tout simplement écouter mon bonjour et raccrocher.

 On nous a même dit en rigolant qu'il pouvait y avoir des concours entre employé pour gagner des chèques cadeau : à celui qui fait les meilleures performances, et puis dix minutes de pause, une clope + un pipi quoi ahaha, du lundi au samedi, un mois entier avec la conscience d'être une belle merde, mais ça on te le dit pas. On te promet des trucs d'avenir, alors que t'es qu'un foutu étudiant à la con, qui veut juste taffer un mois, qui s'y est pris comme un foutu manche, et qui a trouvé que ça.

J'ai vraiment besoin de fric, j'ai vraiment besoin de fric, putain j'ai besoin de fric. Je vais me le répéter combien de fois pour arriver à m'en convraincre? Dis toi que c'est pour tes vacances, t'auras moins envie de pleurer sur la médiocrité de ton sort. Et au moins je travaille pas au Macdall. Ouais. Ouais voilà, je vais mieux. 

Ce soir je vais me remettre dans ma condition normale en enchainant binouzes et clopes en écoutant des groupes - qui vont sans doute être composés de préados, prépubaires, puceaux -,  faire du heavy metal, du rock'n'roll, de la pop, toussa, toussa. 

C'est trop kikoulol le monde du travail.

Le seul moyen de ne pas se taper un reflux de culpabilité, c'est d'oublier sa propre connerie en espérant vraiment l'oublier. 

D'accord je ne me suis pas maquillée depuis deux semaines, j'ai passée mon temps à la bibliothèque avec un pull, un jean et des chaussures montantes. J'aurais aimé faire des efforts, mais je ne m'en sentais pas le courage et puis il faut savoir que la clim' est féroce là-bas. D'accord, ça fait trois semaines que je n'ai pas pris de cuite, me contentant d'un diabolo violette la seule fois où j'ai mis le nez dehors, un soir d'orage. Et presque autant de temps que je n'ai pas baisé. 

Mais M. est là pour tenir compagnie à mon mec et mon meilleur ami, alors me voilà rassurée. Parce que M. ne fait rien de sa vie et peut se payer le luxe de débarquer en ville n'importe quand. Et elle est marrante comme fille, j'en sais rien j'ai jamais eu l'occasion de la rencontrer M., c'est normal tu sors pas, t'es en partiels. OK.

Y a moyen de fondre un plomb dans ce genre d' ambiance merdique. Gavée à la caféine, à la nicotine, aux kellogg's. Ca rend désagréable, voyez.

Mais demain, demain les gars, dès cinq heures j'aurais plus qu'à ramper dans le caniveau, en compagnie de F., qui lui sait de quoi je veux parler. Hein, et puis y a guère que James Franco pour être sex sur des chiottes. C'est pas donné à tout le monde, ça. 

Je lis des trucs sur les maisons closes, assise dans un siège en plastique, le drapeau noir en berne sur l'espoir. Y a de la musique de garage en fond sonore, et trop de gens dans le métro des pensées, ça monte et descend des wagons, comme en temps de panique. 

Le type de la boulangerie fait passer la vieille avant moi. Une baguette blanche, si l'vous plait. Je lui dis qu'elle se fait plaisir. Oh mais excusez moi, je vous suis passée devant. Elle prend sa baguette, dépose ces quatre-vingt cinq centimes dans la main du mec, sourit et s'en va. Je lâche un vague vieille conne et en oublie ce que je foutais là. Ca fera quatre-vingt cinq centimes en moins dans la poche de ces FNistes de merde.

C'est comme attendre à une caisse et la meuf qui répond au téléphone. C'est comme aller à la fnac et s'adresser à des mecs qui y connaissent que dalle en film français. C'est comme aller chercher ses places de concerts et les types qui n 'arrivent à les imprimer.  Comme aller à la piscine et te rendre compte qu'il n'y a pas de ligne pour nager. Payer ta place de train et te retrouver assise par terre. 

Excusez-moi d'être jeune et de ne pas avoir de temps à perdre avec ces conneries - moi non plus.

Je me souviens encore être dans la voiture, soule. Oui parce que c'est une habitude de ne plus arriver à jeun . Genre à jeun avec une plâtrée de pâtes dans l'estomac, des sortes d'asticots qui s'agitent à chaque soubrausauts de cette foutue caisse. Comme dirait M. c'est la dalle douteuse quand t'es déchirée.  Donc on roulait avec cette foutue musique techno qui me détruisait les tympans. Et puis j'sais pas, j'avais dû loupé un ou deux chapitres à mon histoire, et quand elle passe sa main sur mon genou j'étais presque morte de rire. 

En rentrant dans le salon, y avait David Bowie qui chantait et deux meufs qui s'agitaient en parlant à F. et V. Je me suis rendue compte que le sol collait quand j'ai laissé tomber mon briquet et que la peau de mes doigts est presque restée accrochée au carrelage. 

Ensuite y a une des meufs qui me parlait. Je ne sais même plus ce qu'elle racontait : elle avait de trop grands yeux sous ses cheveux trop courts et j'avais envie de lui dire que son rouge à lèvre trop rouge lui filait une putain de tête de cadavre. Mais elle s'agitait et prenait des poses trop cool pour les photos. Et puis le plus sérieusement du monde elle me demande où j'ai acheté mes collants. Bah j'sais pas, Monop' quoi. Y avait des remises, et genre y me restait sept euros cinquante trois centimes sur mon compte que j'ai pensé. Elle fait une vieille mimique et me dit qu'elle achète ses collants dans les fripes à Paris. 

Là je me suis demandée si j'étais trop défoncée ou déjà trop bourrée. 
Alors j'ai posé mon verre en plastique où on avait noté : chaton au feutre en pensant : mais pauvre conne va. 

Mais je me suis entrainée à la méditation. Genre toute seule dans ma chambre pendant deux minutes, à respirer tranquillement. Et bien deux minutes c'est pas suffisant comme entrainement. Je lui ai répliqué que j'allais aller voir Jimi Hendrix en concert dans deux mois, et que ça allait être génial.
Je pense qu'elle est restée un peu dubitative.